« Les yeux dans les arbres » Barbara Kingslover Rivages poche publié en France 2001
« Les yeux dans les arbres », j’ai beaucoup aimé.
Il est constitué de bribes de récits, comme une sorte journal intime porté par cinq voix de femmes qui racontent, chacune à sa manière, la saga d’une famille de pasteurs baptistes en mission d’évangélisation au Congo entre 1959, année de leur arrivée et 1986.
Le père, un fou de dieu, entraîne sa femme et ses quatre filles, contre l’avis de sa propre hiérarchie, dans un petit village perdu avec pour ambition de baptiser toute la population et de ramener, de grés ou de force, ce troupeau égaré dans le giron de l’église. Aveugle et sourd à la réalité qui l’entoure, il ne peut lire ce monde qu’à travers les paroles de la bible qu’il assène comme autant de coups de gourdin dans l’incompréhension générale. S’il échoue dans sa mission, il réussit parfaitement à détruire sa propre famille et l’entraîne dans la tragédie. Nous ne sommes pas loin des premiers conquérants portugais. Le Livre a seulement remplacé l’épée.
Chaque femme raconte à sa manière et en fonction de sa personnalité que l’on voit se construire au fil des ans, les petits et les grands moments de leur quotidien misérable. On voit donc évoluer le regard et l’analyse de chaque voix à travers le temps jusqu’à l’éclatement final du groupe. Chacune suit alors son destin aux quatre coins de la planète.
La petite histoire de la famille est étroitement mêlée à l’Histoire de ce pays puisqu’elle débute en pleine colonisation belge, juste après la mort du terrifiant roi Léopold, se déroule dans la période qui a immédiatement suivi l’indépendance, les espoirs fous apportés par Lumumba puis son assassinat, la révolte du Katanga orchestrée par les USA, la montée au pouvoir de Mobutu et l’hémorragie des richesses minières jusqu’à ce que le pays soit saigné à blanc, jusqu’à ce qu’il devienne le Zaïre. De la grande Histoire, nous n’avons que les échos, ce qu’en sait le village, ce que rapporte le bouche à oreille mais surtout les conséquences palpables, la misère grandissante, l’insécurité, la malnutrition, la maladie, la mort des enfants. Le village ne peut exister que grâce à la puissance de la structure et du tissu social traditionnels. Et comble d’ironie, ce contre quoi lutte vainement le pasteur est aussi ce qui assure la survie de sa propre famille. Mais si l’analyse s’arrêtait là, elle resterait bien superficielle. On n’est pas dans le mythe du bon sauvage près de la nature, en symbiose avec elle et perverti par le cupide blanc. Le vers est dans le fruit. La culpabilité bien redistribuée.
Encore un mot sur Anatole, le jeune instituteur congolais, révolutionnaire et « communiste », qui essaie de réunir tradition et modernité, qui évoque un pays mythique d’avant la colonisation, un paradis sur terre… dont l’existence réelle est sérieusement écornée par la visite du palais d’Abomey, au Bénin, palais dont les murs sont constitués de boue et de squelettes d’esclaves.
Pour finir, on y retrouve l’Afrique de Le Clezio (encore lui !), celle de lumière et de boue, d’excès de tout, de manque de tout, qui donne et reprend tout, qui reste impénétrable mais dont la marque ne peut être effacée. Ce sont des histoires de femmes écrites par une femme. ( aïe, aïe… qu’est ce que je dis là !)
Je m’étais promis de faire bref, je crois que c’est raté. A ma décharge, il faut bien reconnaître que rendre compte de 650 pages sans être trop réducteur est un exercice bien difficile.
(Mise en garde : la première voix est celle de la mère, elle est déroutante et obscure. Elle ne prend son sens qu’à la fin du livre)… Je crois que j’ai envie de partager cette lecture avec quelqu’un !