Gran Torino, Clint Eastwood

Qui a vu le dernier Clint Eastwood ?

Moi oui, et j'ai trouvé ça bien. Pas déçu du maître. Ca parle d'un vieux ronchon de banlieue américaine (Eastwood), vétéran de Corée et patriote incapable de parler à quiconque sauf en râlant. La banlieue qu'il habite est peu à peu remplie d'immigrés chinois et il se retrouve seul au milieu d'eux. Une famille chinoise s'installe dans le pavillon d'à côté. Au début, évidemment, il ronchonne, il est très méfiant envers ce qu'il ne connaît pas et trouve ces gens bizarres et certainement infréquentables. Bien sûr, au cours du film, il va apprendre à les connaître et se liera avec eux, enfin, l'un d'eux précisément dont il jouera un peu le rôle du père.

Ceux qui souhaitent voir le film ne sont pas obligés de lire ce post jusqu'au bout, je risque de le déflorer un peu trop même si j'essaie d'en dire le moins possible. Et je crois que c'est un de ces films à aller voir sans a priori, sans en avoir une image préconçue pour qu'il marche vraiment bien.

Bref, pour ceux qui restent, rien de très surprenant dans ce film, à part peut-être la façon dont il se dénoue, et encore. On reconnaît dès le début la trame du gars-méfiant-mais-qui-a-un-bon-fond-et-qui-va-changer-d'avis. Mais là n'est pas la question. On a une belle représentation des valeurs et de la mythologie américaine : attachement au drapeau et à la production américaine (ici, les voitures), la maison de banlieue avec un atelier complet rempli de tous les outils possible et utiles dans une vie d'homme. Tous faire soi-même : de l'entretien de la voiture à celui de la maison, et l'honneur d'un homme dans le travail. Toutes ces valeurs que le personnage n'a pas réussi à transmettre à ses enfants dont il s'est éloigné, avec qui il n'a jamais réussi à communiquer, qui ne l'appellent que pour la forme mais ne le supportent pas.

Et le goût pour les armes, qui est en fait le pivot du film. Car la fréquentation de ces voisins va aussi attirer pas mal d'emmerdes au vieux. Il est du type "je me défend moi-même, les flics ont pas à intervenir dans mes affaires". Ainsi, quand il chasse des indésirables dangereux le fusil à la main, c'est vite réglé : il les menace, hausse un peu le ton et voilà. C'est comme ce que dit poussin pour La Vague, même si on est viscéralement contre, on se dit que c'était peut-être la meilleure solution. Les flics auraient mis du temps à arriver et ça aurait peut-être dégénéré, ou ne seraient pas venus, etc, alors que là, ça s'est réglé en deux minutes. Mais on se dit aussi, à ce moment du film, que le fond idéologique est peut-être un peu malsain. Et on se rend compte que finalement non : c'est à cause de cette scène presque anodine que la violence va s'insinuer petit à petit pour déboucher au drame final. Ce film est une démonstration fine mais néanmoins extrêmement efficace de l'absurdité de la violence, même dans une situation qui la justifierait. On retrouve un peu ici la recette de Mystic River, mais en plus direct, plus central, moins dilué car ce dernier aborde bien d'autres sujets alors qu'ici, pour moi, le message principal concerne clairement le refus des armes.

Bref, cela fait du bien de voir un film hollywoodien parler de tolérance et de non-violence de manière fine, sans kitsch ni cliché. Ca fait vrai, on a véritablement l'impression d'être plongé dans cette Amérique entre deux époques sans que cela soit artificiel. Et tout cela en partie grâce aux comédiens, Eastwood en particulier : quelle présence, quelle classe... Un acteur incroyable.

oll a écrit:

Qui a vu le dernier Clint Eastwood ?

moi ! enfin !


euh... ATTENTION TOUT SPOILER TOUT PARTOUT dans ce qui va suivre.

oll a écrit:

Bref, cela fait du bien de voir un film hollywoodien parler de tolérance et de non-violence de manière fine, sans kitsch ni cliché. Ca fait vrai, on a véritablement l'impression d'être plongé dans cette Amérique entre deux époques sans que cela soit artificiel. Et tout cela en partie grâce aux comédiens, Eastwood en particulier : quelle présence, quelle classe... Un acteur incroyable.

chus pas d'accord. pour moi, il n'y a pas de démonstration. le film ne parle ni de tolérance ni des armes. encore moins de non-violence... en tout pas en termes d'arguments. je n'y ai pas trouvé de "thèse". juste une espèce de mélancolie, pour un vieux cow-boy perdu dans un monde qui change trop vite.

il n'est pas foncièrement raciste, dans le sens où il n'a pas de haine des étrangers, juste un vocabulaire à violer le politiquement correct (d'ailleurs la leçon de conversation chez le coiffeur en est un exemple : il a eu des copains de toutes origines sur les chantier, mais ils s'insultent à tour de bras, c'est comme ça, c'est viril). d'ailleurs il faut avoir des couilles pour balancer des vannes racistes à tout va alors qu'il est le dernier blanc du quartier.

et puis je n'y ai pas vraiment vu une leçon de non-violence, juste une espèce de fatigue pour les escalades de violences justement : ça ne peut pas s'arrêter, sauf... sauf si aucun ne s'en sort. or il ne peut pas les buter tous. on a juste un gars usé, miné par d'anciennes fautes, qui trouve le moyen de finir en beauté avec en plus une injection de confiance dans la justice américaine ("je veux qu'ils n'aient aucune chance") qui colle assez au personnage, finalement : l'amérique c'est le bien...

Bon. Peut-être que "démonstration" est un mot un peu fort, trop dialectique, c'est pas forcément celui qu'il fallait retenir. Je ne pensais pas ça comme une "leçon". Cela dit je reste sur ma position : le film parle de plein de choses, des mythes américains, de l'évolution de la société qui déstabilise les anciens, mais aussi de violence et de la manière de répondre à la violence. Je ne dis pas c'est LA thèse, mais c'est quand même un des thèmes importants. Et finir en beauté ? Non, il s'en fout. Rien ne l'importe moins que son image, il a un problème, il trouve la solution appropriée, l'outil adapté.

si, "finir en beauté" me semble approprié : la symétrie (j'ai tiré sur un gniak désarmé, et ça m'a miné toute ma vie, je vais devenir ce mec désarmé à mon tour) et l'image, surtout, du mort, silhouette de Christ avec du sang aux poignets...
quand tu penses qu'au début du film, on voit ses enfants lui proposer des dépliants de maison de retraite...

sinon je suis d'accord sur ton point de vue sr la violence/les armes, mais je trouvais ça assez réducteur. il y a ça, mais pas que. et pas sous forme de leçon. mais là, on a l'air d'accord.

Et c'est vrai que les scènes avec le barbier sont gé-niales. Pareil avec le contremaître du chantier ! Un vocabulaire... fleuri, bande de fils de chienne.

Pour ma part, j'ai bien aimé Gran Torino sur le coup : Eastwood est un acteur génial, vraiment charismatique, qui a de la classe et qui porte le film... Quelques échanges sont effectivement poilants etc. Toutefois, en prenant du recul, on est en droit de s'interroger sur le message qu'il véhicule. Je pense ainsi que le fond idéologique du film ne va pas du tout dans le sens de l'hymne à la tolérance ou la dénonciation de l'absurdité de la violence... On retrouve dans ce film de nombreux stéréotypes racistes : la gentillesse asiatique qui s'avoisine à de la soumission -les familles qui offrent sans cesse des milliers de plats différents à leur protecteur; ou encore le noir lubrique -les 2 mecs qui tentent de violer la future petite amie de Thao-. Quand aux blancs de la nouvelle génération, ils sont accusés d'être mous, ingrats et naïfs à travers les figures des enfants de Walt Kowalski ou encore du jeune qui essaie de se la jouer cool avec des délinquants afro-américains en les qualifiant de "frère"...
Par ailleurs, Eastwood va dans le sens d'une logique de sacralisation de l'auto-défense,le topos du bon patriote états-unien qui protège seul son foyer et son quartier...
Dans le monde diplomatique de mai 2009, l'écrivain Philippe Person se pose la question suivante : "Clint Eastwood a-t-il vraiment changé?"... et il répond par la négative : il rappelle qu'il y a une trentaine d'années, Eastwood était volontiers qualifié de "réactionnaire" voire de "fasciste" ... Ainsi, de son point de vue, Gran Torino s'inscrit dans la lignée idéologique de l'ensemble des films réalisés par Eastwood ou dans lesquels il a pu jouer comme les inspecteurs Harry : apologie de la violence, perspective très individualiste. Il rappelle également qu'Eastwood a jadis refusé le rôle principal dans Apocalypse Now (film dénonçant la guerre du Vietnam)... Ce papier est intéressant car il se propose de mettre en perspective l'ensemble de la carrière d'Eastwood en soulignant un fil directeur idéologique conservateur... On sent toutefois que Philippe Person n'apprécie guère Eastwood et prend tous les éléments à sa disposition pour étayer son argumentaire visant à prouver qu'Eastwood et ses films sont conservateurs.
Au final, je n'éprouve pas de gêne à avoir passé un bon moment devant ce film mais je crois qu’il ne faut pas faire de contre-sens : Eastwood est et demeure un conservateur, favorable à la peine de mort et au port d’arme… Point d’anti-racisme, anti-violence ou d’apologie de la tolérance dans ses films par conséquent.

Ohoh ! Schnouf est de retour ! Et de belle manière !

Oui Eastwood est un conservateur, et peut-être bien que ce film véhicule certains clichés. Pour l'individualisme, par contre, je ne pense pas qu'il s'agisse d'apologie. D'ailleurs, il n'a jamais l'air plus heureux que quand il finit par accepter de laisser ses voisins s'immiscer un peu dans sa vie. C'est juste une illustration de l'american way of life, au même titre que l'adoration de la voiture, dont je parle plus haut.

Schnouf a écrit:

Eastwood va dans le sens d'une logique de sacralisation de l'auto-défense,le topos du bon patriote états-unien qui protège seul son foyer et son quartier...

Là, je ne suis pas d'accord. Quand est-ce qu'il sacralise l'auto-défense dans ce film ? Tire-t-il un seul coup de son fusil de chasse ? Non, il s'arrange pour les faire tomber à sa manière laissant le soin à la justice de s'occuper de leur cas. Pendant tout le film on s'attend à une série de règlements de comptes toujours plus sanglants. Mais non, le seul moment où il fait justice par lui-même c'est quand il va tabasser l'asiatique alors que ses potes sont partis et c'est clairement une erreur, une erreur qu'il ne reproduira pas puisqu'il a vu l'escalade de violence que cela a déclenché. Quand il se sacrifie, il est clair qu'il regrette que sa réaction irréfléchie, celle de faire justice par soi-même, ait abouti à un acte de torture sur une jeune fille. Et il ne veut pas faire à nouveau la même erreur, alimenter le carnage, comme il ne veut pas que le gamin réagisse ainsi en l'enfermant et en le sermonnant.

Puisque tu parles de sa filmographie, je me permet rappeler Mystic River à ton bon souvenir. ATTENTION SPOILER. Ce film montre de manière violente et percutante à quel point faire justice par soi-même aboutit à la pire des injustices. Dans ce film, aveuglé par la douleur de la perte de sa fille assassinée et par l'absence de confiance envers la police, un semi-mafieux va abattre son copain d'enfance (innocent) sur un soupçon. Parler de l'apologie de la non-violence est certainement exagéré, d'accord. Mais sans contresens, je trouve que ses derniers films tournent le dos à l'auto-défense.

Et pis d'abord, s'il n'a pas tourné dans Apocalypse Now, ce n'est certainement pas pour des raisons politiques, voyons. Il a simplement cédé sa place à Martin Sheen, que pouvait-il faire d'autre face à un tel Dieu ?

Bah justement j'avais commencé hier soir à développer dans le sujet sur Gran Torino mais un mauvais clic m'a fait perdre tout ce que j'avais rédigé...

Ach ! Courage, recommence !

Je veux d'abord revoir la plupart des films de la saga.
Les deux premiers je les ai assez bien en mémoire mais les suivants un peu moins.
Et du coup je pense que ça fera l'objet d'un article tu sais où.

Il semble que la simple comparaison de Harry Callahan et du personnage de Paul Kursey apparu trois ans plus tards (Dirty Harry sort en 1971 et le premier Death Wish aka Un Justicier dans la ville) interprété par Charles Bronson. Film qui inaugurera ce que l'on appel couramment les "vigilante movies" ou films d'auto défense qui fleuriront tout au long de la décennie suivante (ah... les années Reagan). Genre qui fut d'ailleurs fécond en nanars et navets.
D'autant plus que la série des Justicier dans la ville ne cessera au fur et à mesure des films de sombrer dans l'apologie la plus crasse et la plus débile de l'auto défense : idéologie que les flics et les juges sont des incapable et que la meilleure des justices est celle que l'on rend à soi même par soi même. Paul Kursey est un personnage fasciste.

Bon apparemment, à partir du 3è, c'était de l'alimentaire pour Branson puisqu'il était présent sur le tournage que pour tourner les plans dans lesquels sont personnage apparaît (ne lisant pas non plus les scripts) et aurait découvert seulement une fois le montage terminé qu'il dézinguait les petites frappes tour de bras.

J'ai zappé un truc, là ? Il semble que la simple comparaison blablabla soit quoi ?

De mémoire Harry reste toujours au service de la loi. Ce n'est pas pour rien qu'à la fin de Dirty Harry après avoir tué Andy Robinson / Scorpio il jette son badge. La raison de geste est que par le simple d'avoir tuer Scorpio il a rendu la justice lui même. Par conséquent il placé au dessus de la loi en étant à la fois flic, juge, et bourreau. La même chose dans le second (Magnum Force) où il est idolâtré par un groupe de jeunes policiers tout frais moulue de l'académie ayant monté une sorte d'escadron de la mort sous prétexte que la justice est incompétente et que donc à il leur revient de rendre la "Vraie Justice". Leur méthode : l'assassinat pur et simple.
Harry refuse de rejoindre leurs rangs car bien que ses méthodes sont un peu expéditives il reste et restera un serviteur de la loi.

Et en ce qui concerne les trois suivants (Magnum Force ; The Enforcer - L'Inspecteur ne renonce jamais ; Sudden Impact - Le Retour de l'inspecteur Harry ; The Dead Pool - L'Inspecteur Harry est la dernière cible) je m'en souviens mal donc pour l'instant je ne parle du personnage que dans les deux premiers films.

Concernant le personnage qu'incarne Clint Eastwood dans Gran Torino je l'ai perçu comme étant une façon d'en finir avec la figure de Harry Callahan. Plus précisément la séquence, l'une des dernières du film, où il "attaque "le gang. Un dernier tour de piste pour la postérité en quelque sorte. Un peu une réponse à Charles Bronson qui à 70 ans passé été finalement prisonnier de cette figure de justicier qu'il continua à incarner pour la télévision : jusqu'à la fin.

P.S: À la rigueur ce serait peut être judicieux de déplacer les derniers messages dans le sujet adéquat (Gran Torino ) ?

Ayet, sujets remaniés par Dieu... euh, non, le modérateur.

Faut vraiment pas que j'écrive quand je suis naze : obligé de repasser derrière pour faire un peu de ménage histoire que ce soit lisible et compréhensible...