Des extraits saisissants et qui illustrent bien la réalité de la détention en France : ayant été bénévole deux ans au sein de l’association étudiante GENEPI, qui intervient en milieu carcéral et tente d’aider à la réinsertion des détenus, je puis en effet témoigner des inacceptables conditions d’incarcération en France, plus particulièrement dans les maisons d’arrêt qui subissent de plein fouet la fameuse surpopulation. Deux voire trois détenus dans une cellule de 9 mètres carrés avec trois lits superposés. Des wc dans la cellule et sans cloison : telle était la réalité de la maison d’arrêt de Poitiers quand j’y ai travaillé.
On voit dans le documentaire une évocation de la question du papier toilette : ration mensuelle insuffisante et donc obligation de recourir à la « cantine », ce système officiel d’achat de produit à l’extérieur, produits dont le prix est évidemment revu à la hausse… à Poitiers, les détenus sans aucune ressources (les « indigents ») dépendaient du secours catholique pour avoir le minimum vital.
Je crois que les conditions de détention posent un problème majeur quant à la logique même du système carcéral dont l’objectif est censé être double : punir celui qui n’a pas respecté les règles collectives et surtout préparer son retour dans la société afin d’éviter qu’il commette à nouveau des actes illicites…
Or, comment préparer la réinsertion en fragilisant psychologiquement et physiquement des personnes qui le sont souvent avant leur incarcération ? On est en présence d’un non respect complète de la dignité humaine qui va en empirant depuis quelques années avec l’inflation rapide du nombre de détenus. La France compte aujourd’hui plus d’un habitant sur mille en prison avec 64000 détenus. Un chiffre à comparer avec celui de 2001 : 47 000 détenus. On a là le résultat de la politique dite de « tolérance zéro »…
On est donc en présence d’un taux d’occupation de plus de 120%, en ayant à l’esprit qu’il s’agit d’une moyenne et que la surpopulation affecte essentiellement les maisons d’arrêt où sont censés être détenus les suspects en attente de jugement et les condamnés à moins d’un an de prison…
Ce qui se cache derrière cette inflation carcérale, c’est bien un projet de société : on accentue les inégalités sociales, et quand la pauvreté augmente, la délinquance plus ou moins grave aussi… il s’agit ensuite de traiter celle-ci avec une sévérité accrue, ce qui permet au passage de surtout employer des fonctionnaires d’Etat dans les fonctions «régaliennes » : justice, sécurité intérieure voire armée…
Le sociologue Loic Wacquant, a publié il y a une dizaine d’années aux éditions raisons d’agir un petit ouvrage analysant le système carcéral états-unien et surtout la philosophie politique qui se cachait derrière. Son ouvrage s’intitulait [i]Les prisons de la misère[/i]. Il montrait comment cette manière de voir la société, ce modèle, inspirait la Grande-Bretagne et de plus en plus les pays européens. Précisons au passage que Etats-Unis comptent de leur côté un habitant sur cent en prison soit 3 millions de personnes incarcérées !
Bref, le livre est très clair, synthétique et apporte beaucoup d'éclaicissements, nous fait vraiment sortir des idées reçues. Le point commun entre les détenus français ou états-uniens, c’est leur coloration sociale : en 2001, un tiers des détenus en France ne pouvait satisfaire à un test de lecture rudimentaire. La grande majorité des détenus a un niveau d’études inférieur ou égal ou Brevet/CAP. Le nombre d’enseignants délégués à l’administration pénitentiaire est largement insuffisant et trop peu de formation sont proposées pour préparer la sortie…
Je crois vraiment qu’il s’agit d’un sujet qui est loin d’être anodin : il constitue le miroir de notre société, de ses disparités croissantes et de l’instrumentalisation de la question de la sécurité (à laquelle il est légitime d’aspirer)…
Des solutions alternatives à la prison existent et sont plus efficaces pour éviter la fameuse « récidive » dont les médias se délectent sans jamais se demander si la processus d’atomisation des individus propre au système carcéral actuel n’était pas l’une des causes majeures de la récidive…
Je m’arrête là car voilà un sujet sur lequel j’ai passé beaucoup de temps et dont je pourrais parler des heures mais qui me désespère car je ne cesse de constater la péjoration du système pénitentiaire français. [i]Surveiller et punir [/i]de Michel Foucault est malheureusement plus d’actualité que jamais.
Si vous souhaitez en savoir plus, je vous conseille le site ban public, réalisé par d'anciens détenus, une source d'information vraiment riche. Et bien sur le site de l'Observatoire International des Prisons, qui se bat sans cesse pour les droits des détenus, combat qui s'apparente de plus en plus à un tonneau des Danaïdes.